Notes de lectures et cætera...

Informations autour des éditions

La lecture par Roger-Yves Roche de "D'une vallée perdue à mes jours de mémoire " sur le site de Pierre Campion "A la littérature".

http://pierre.campion2.free.fr/

 

 Hervé Martin, D'une vallée perdue à mes jours de mémoire

 encres de Sophie Brassart, 

 éditions Au Salvart, 2023, 48 p. 18 €. 


 La mémoire ne choisit pas entre les (sur)vivants et les morts. Elle réveille les uns, veille les autres. D'une vallée perdue à mes jours de mémoire d'Hervé Martin est un petit livre qui ne dit pas son nom, le dit trop bien, hésite entre la lumière et l'ombre, l'enfance et le précipice : 

   

 « Aux cœurs sonnants dans les poitrines

le poids des médailles ne comble pas l'absence

 

Des années après la mémoire ne peut rien

contre la béance  le trou des jours perdus

 

De ceux qui ne mêlent plus de pas

aux traces de leur ombre  » 

   

 D'un événement de guerre, l'embuscade dans la vallée d'Uzbin, à 50 km à l'est de Kaboul (août 2008), Hervé Martin fait un poème stoïque-déchirant, que les encres de Sophie Brassart accompagnent, comme les éclairs l'orage. Et sans doute le temps de l'écriture n'a-t-il pas suivi exactement celui du souvenir, s'est même soustrait à lui, comme pour enfin regarder la blessure en face : « Il aura fallu une dizaine d'années avant que l'auteur puisse écrire sur cet épisode tragique qui aurait pu briser sa famille. » 

   

 

 Entre son petit d'homme qui « prend des allures de héros quand il joue Et soudain s'interrompt dans le jeu   et dit    je serai commando » et celui qu'il est devenu, se trouve pris « dans la poussière des lacets », s'en tirera presque malgré lui, c'est la langue du père qui court, halète, va par les sentiers et les crevasses, passe sous le soleil, sauve ceux qui ont sauvé et n'ont pu être sauvés : 

 

 « Et ceux   Amis   Compagnons

Binômes et camarades

Contre tout ordre régulier

Désobéissants aux consignes de repli

 

Restèrent cibles ultimes

Pour protéger ce retour d'embuscade

Ramener les derniers rescapés

de sueurs et de sang

ébahis de torpeur » 

   

 Ils sont désormais prénoms au-dessus des mots (Grégory, Jean-Christophe, Kévin), stèles nécessaires et pourtant dérisoires, tandis que le fils revient à des « jours ordinaires » « Côtoyant des rives incertaines    et promesses sans rêves ». 

   

 Reste le livre, écrit comme dans le redan de l'histoire. Événement que le poète n'a pas vécu et vient cependant de revivre, voix portée au-delà d'un voir, dans une région que seuls les mots peuvent atteindre. 

                                               
                                               Roger-Yves Roche 



La guitare dans l’arbre suivi de Il neige sur la mer 

Au cœur du premier ensemble, il y a « l’absent sans paroles », le fantôme persistant d’un amour brisé dont le souvenir continue à hanter les lieux familiers de la poète, l’oubli qui ne vient pas. Dans les premiers poèmes, Lydia Padellec évoque le mécanisme insidieux qui se met en place quand « nous ne parlons plus / la même langue », la distance qui s’installe entre les amants. Dans « la déchirure d’un rêve / qui peu à peu se dissipe », il reste une sensation de défaite irrémédiable. L’absence et le vide s’énoncent en mots simples.

 La répétition en leitmotiv indique que la rupture s’annonce définitive : « l’absent erre entre les frontières secrètes », « Ulysse ne reviendra plus », « Il ne reviendra pas / l’amour des trente ans ».

 Les sentiments et les émotions s’expriment dans un registre métaphorique, cependant que les objets du quotidien (la bouilloire, les lampes, la chambre, les écrans, un banc, la guitare) marquent un ancrage dans le réel. Le poème se fait compact sur la page. Les mots sont implacables, sans appel, pour dire « l’essaim du souvenir ». Le premier volet se clôt sur « le fil du poème / ouvert et incandescent ». Puis vient le temps d’« élaguer la mémoire », de se réapproprier le silence « lumineux comme une nuit / de neige ». Dans le deuxième ensemble, le poème se fait plus concis, s’arc-boute sur les mots essentiels et paradoxalement s’aère et respire : « la mer apaise l’amertume / de l’âme dévastée ».

Marie-Josée Christien  Spered Gouez N°28 /Otocbre 2022
https://speredgouez.monsite-orange.fr/

Merci à Marie-Josée Christien et à la revue Spered Gouez pour les notes de lecture sur les deux premiers titres des éditions Au Salvart!

Origines du poème 

Le poème bref d’Hervé Martin s’entoure de silence et de mystères pour remonter à ses sources : « Ici le passager précaire rapatrie de fugaces reliques ». Le poète s’adresse à son alter ego : « Qu’es-tu venu chercher / dans ce lieu où erre curieusement l’enfance ». Il retrouve dans quelques traces fugitives captées sur les lieux de son enfance les éléments fondateurs qui deviendront ses « motifs » d’écriture. Ses « mots de persistance et d’oublis » dessinent des labyrinthes d’où surgit la conscience aiguë du temps découpé par les heures et par les horloges.

 La perte d’un frère nourrisson « qui traça sur (s)on histoire comme une ligne d’ombre » a laissé le vide de l’absence et « le chagrin qui perdure ». Muette, la douleur s’est longtemps tapie dans le corps. Puis les mots remontant peu à peu de la gangue du silence « se frayent un chemin / à travers le rhizome des nerfs ». « Le poème se révèle / en un puzzle » qui permet enfin le retour à soi.

Marie-Josée Christien  Spered Gouez N°28 /Octobre 2022
https://speredgouez.monsite-orange.fr/

Sur le site de En Attendant Nadeau, une note de Roger-Yves Roche sur ATERNEL de Maurice Regnaut


Maurice Regnaut | Aternel. Au Salvart, 76 p., 14 €


Le poète est un éternel enfant et vice versa. Si d’aventure le lecteur l’avait oublié, qu’il lise et se délecte d’Aternel de Maurice Regnaut (1928-2006), petit recueil consacré à ses cinq enfants (+ un désiré, mais jamais né…). Aternel est un bout de mot bien pratique qui fait suite à mat + frat + pat, trois degrés d’être bambin-au-monde. 

Il y a là une façon de porter attention, enregistrer et retranscrire les faits et gestes de l’enfance, qui se rencontre rarement dans la poésie. Voici un hoquet qui déclenche une inquiétude avant de se transformer en loquet puis en bilboquet avant de se terminer en un : « tout est OK ». Voici encore un geste qui n’est 


que d’ouvrir les bras et qui pourtant se multiplie : « en criant », « en riant », « en courant ». Voici maintenant une porte qui « prend la route », qui bientôt « a pris la route » « et le futur passe et passe et le futur est passé ». La poésie de Regnaut est notation brève, intense émotion, incessante(s) question(s). Les mots du poète se faufilent entre les mots de l’enfant : écoute et couture. Mais laissons-leur le dernier mot, uniment : « — L’enfant et le poète, ils sont effectivement, eux, de ceux qui savent. — Qui savent quoi ? — Qu’ils sont des enfants ». CQFD. 

Roger-Yves Roche 

La guitare dans l'arbre - suivi de Il neige sur la mer- Une lecture de Jean-Paul Gavard-Perret.

Lydia Padellec ou la mélodie de l'inaudible.
 

Du morcellement de l'être Lydia Padellec se veut la rassembleuse. Depuis ces premiers textes elle tente de rendre audible ce qui se tait, se cache parce que cela nous demeure inconnu.
 Elle sait que pour un tel surgissement l'explosion n'est pas de mise. Il faut plus de finesse car ce qui demeure tapi a tôt fait de retourner à l'état de silence. Comme si l'être même en son corps défendant tout était en fuite.

 

Il s'agit donc d'apprivoiser le silence de neige sans courir le risque de faire fondre cette dernière et d'entrainer l'enfouissement du premier. Dans une sorte de communauté avec celui à qui elle s'adresse, la petite fille de jadis tente ainsi de retrouver un langage premier.

C'est pourquoi au sein d'une telle neige il ne s'agit pas de perdre pied ou de s'enfoncer mais et – sur un tel lit – de reconstruire le "vide abyssal" pour dire enfin ce qu'il cache avant que le temps nous fasse défaillir.
 C'est pourquoi l'écriture demeure une entreprise complexe. Elle passe d'abord par un affinement des sensations et leur maturation puis elle offre la mutation d’un corps lové jadis dans le ventre maternel et qui ensuite erre dans ses galeries ses plus profondes autant que dans le réel.

Jean-Paul Gavard-Perret -  L'Internaute (8/04/2022)

Origines du poème - Une note de Chantal Couliou parue dans la revue Portulan N°37.

Ce recueil est le tout premier d’une toute nouvelle maison d’édition crée par Hervé Martin. 

Il est impossible de remonter le temps, de rattraper son enfance. L’horloge poursuit sa course folle. 

Dans la succession des années. Combien de regards/ posés sur cette horloge

Comme une ligne d’ombre semble retracer les chemins d’un frère trop tôt disparu et la quête incessante d’une mère à la recherche de ces moments volés à l’enfance. 


Seul le corps/connaît la profondeur des déchirures. 

Mémoires, enfance, absence. Les mots peuvent t- ils permettre d’échapper à ce questionnement ? Les mots permettent –ils d’adoucir les blessures ?  en revenir aux mots, exhorter tous les mots à fouir la matière, mots prononcés en bouche,.. 

L’auteur établit une sorte de bilan de fin de vie rattrapé aussi par les douleurs, un corps qui lâche, mais les mots finiraient-ils par délier les entraves ?
Chantal Couliou - Revue Portulan N°37

La guitare dans l'arbre suivi de Il neige sur la mer - Une lecture de Chantal Couliou a paraître dans la revue Portulan N°38.

Un recueil en deux parties: la première est consacrée à l'homme aimé en allé avec sa guitare et ses chansons. L'auteure se console au bord de la mer, à travers les mots et la poésie qui lui permettent de prendre du recul. Pas de pathos dans ce recueil. La rupture, une rupture qui fait mal, qui laisse des traces mais qui permet aussi la réflexion et la reconstruction. C'est peut -être cela qui fait le sel de la vie: savoir que rien n'est éternel, que  les amours peuvent mourir et d'autres voir le jour.

Il s'agit de transformer la douleur, le chagrin en une force qui permettra de renouer avec le bonheur. Rien ne nous console de ces fractures de la vie, de ces pertes mais nous nous devons de les apprivoiser pour avancer, pour retrouver goût à la vie.

Nous avons vieilli/et avec nous les rêves/d'une voie nouvelle-/ les lampes la nuit/n'effacent pas les caresses/un rire parfois réveille/mais ce n'est que le vent/qui claque contre le vent./


L'auteure fait son deuil d'un possible enfant, les années passant et le cours des choses reprend sa place: le sang est revenu. 

Deux mois jour pour jour/après le dernier appel,/le sang est revenu/à quoi joue ce corps/qui ne peut enfanter?/ 

La seconde partie intitulée Il neige sur la mer fait t- elle table rase de cet amour enfui? Est-ce la neige qui recouvre la guitare dans l'arbre?  La neige en recouvrant tout permet - elle un nouveau départ. Tout est blanc, vierge ainsi l'auteure prend son envol, renoue avec le désir et la vie  reprend ses droits. 

Tu plongeras tes mains/souillées d'encre/dans le visage de la neige/ et du bout des ongles/tu sentiras/ les battements de la terre. 


Chantal Couliou - Revue Portulan N°38

Origines du poème - Une lecture de Jean-Paul Gavard-Perret - L'Internaute

Il arrive parfois aussi qu’un créateur soit contraint à un  exercice de recouvrance : d'où ces origines du poèmes qui forcément recoupent les temps de l'existence.
L’inhibition se trouve levée selon une pulsion qui n'a rien autodestructrice. Tout fonctionne :
Pour libérer le corps / des stigmates des yeux / posés sur l'enfant / au plus seul du lit.
Cela ne va pas sans heurts et le poème se révèle un puzzle.


Dans la force des années, des images reviennent : c'est le moyen de trouver des repères là où les mots tentent de percer le silence et l'oubli.
 L’œuvre offre  quelque chose à la fois de lisse et de compliqué, entre synthèse mais aussi éclatement. Ce sont deux manière de structurer la matière, d'y mettre de l’ordre et de saisir l’intouchable.
Jean-Paul Gavard-Perret -  L'Internaute (8/03/2022)